Portrait du monde rural dans la Drôme

Joseph Ferdinand Cheval est confronté dès son plus jeune âge à la misère qui sévit en milieu rural au XIXe siècle. Partagée entre royalistes et républicains, la Drôme vit une période de grande instabilité politique. La pauvreté et les épidémies accablent les paysans. Bon nombre d’entre eux ne portent pas de souliers, ne mangent presque jamais de viande et n’ont pas de draps.

A l’école de Charmes, l’institeur accueille 110 enfants en hiver et la moitié aux beaux jours, car très jeune les enfants aident aux champs. Joseph Ferdinand Cheval a la chance de fréquenter l’école jusqu’à l’âge de 12 ans. Il apprend à lire, écrire, compter, dessiner Son instituteur est un jeune normalien reconnu comme l’un des meilleurs du département.

 

 

« Mon instruction fut très élémentaire. Ce n’est qu’en grandissant qui me vint l’amour du travail et de la lecture »

 

Portrait du Facteur Cheval âgé de 69 ans en 1905.

Né à Charmes, un petit village proche d’Hauterives en 1836.

 

La nomination de facteur

Avant de devenir facteur rural, Joseph Ferdinand Cheval a exercé le métier de boulanger appris auprès de son tuteur Joseph Burel, à qui il est confié à la mort de son père. Cette expérience du pétrissage la pâte va-t-elle influencer son travail de créateur ? Il travaille comme boulanger à Valence, Lyon… Puis revient à Hauterives pour la naissance de son premier fils. Afin de rester proche des siens, il trouve un emploi d’ouvrier agricole.

C’est alors que le maire propose l’ouverture d’un second poste de facteur, face à l’accroissement de l’activité postale. Deux qualités majeures sont requises pour devenir facteur rural : être en bonne santé physique car les tournées sont longues et faire preuve d’une bonne moralité. Il obtient de la part du maire l’indispensable certificat de bonne moralité qui va lui permettre d’exercer son métier. Il restera facteur jusqu’à sa reraite à 60 ans.

 

« 29 ans je suis resté facteur rural, le travail fut ma gloire et l’honneur mon seul bonheur »

La tournée du facteur

Nommé dans un premier temps facteur rural dans les villages, voisins, Joseph Ferdinand Cheval est muté 9 ans plus tard à Hauterives pour la tournée de Tersanne : 43 kms à parcourir à pied chaque jour sur un terrain accidenté. Un pays de ruisseaux, de rivières, et de vallons. Un pays que l’on surnomme aussi « les terres froides » pour la rudesse de son climat en hiver.

 

« Pour mon idée mon corps à tout bravé, le temps, la critique, les années »

 

 

« Quand j’eus accumulé une quantité suffisante de pierres, je sortis de la chemise dans laquelle j’avais mis tous les morceaux de papier sur lesquels j’avais crayonné d’une manière grossière toutes mes idées pour la construction du Palais au fur et à mesure qu’elles m’étaient venues à l’esprit et je décidai de commencer les fondations »

Le début de la construction

Un jour d’avril 1879, au retour de sa tournée quotidienne de facteur rural, alors âgé de 43 ans, il trébuche sur une pierre. Intrigué par la forme bizarre de cette roche érodée, il l’emporte. Son imagination est stimulée par sa trouvaille. Il se met très vite à collecter de belles pierres de molasse, sculptées par le temps et les eaux. Sur un terrain potager acheté quelques mois plus tôt, il commence par creuser un bassin pour réaliser « la source de vie ». Avait-il imaginé que sa construction durerait 33 ans ?

Chaque jour après sa tournée, il revient sur ses pas, accompagné de sa fidèle brouette, pour ramasser les pierres mises de côté durant ses longues marches de facteur. Il consacre tout son temps libre, de jour comme de nuit, à son Palais. Au village, il est considéré comme « un pauvre fou qui remplit son jardin de pierres ». Petit à petit, il va acquérir les parcelles voisines afin de donner vie à son rêve. Il y construit également sa maison, la Villa Alicius.

 

« Lorsque j’ai commencé je ne pensais pas arriver à des proportions pareilles, mais je trouvais toujours quelque chose de nouveau dans mes rêves »

Les matériaux

Joseph Ferdinand Cheval n’a utilisé que les matériaux offerts par la nature, sa seule dépense étant réservée à la chaux et au ciment. Ces matériaux locaux sont le tuf, le silex, le grès, le porphyre, le quartz noir, le calcaire, le mâchefer, le sable des Balmes pour son mortier. Il fabrique lui-même les moellons qui constitueront les bases du Monument. Ingénieux, il consolide certaines sculptures comme les palmiers, avec des armatures métalliques. Faute d’un traitement contre l’attaque de la rouille, ces armatures vont fragiliser le Monument.

 

Le tuf est une roche sédimentaire. Elle conserve des traces de fossiles végétaux ou animaux qui stimulent la rêverie.

La pierre molasse est une pierre calcaire d’aspect sablonneux. Travaillée par les eaux, elle prend des formes singulières, comme la pierre d’achoppement.
Le mâchefer, obtenu après des agents du tramway de la vallée est un matériau léger, idéal pour consolider les voûtes et les arches.

Le silex fascine autant par sa dureté que pas la variété de ses couleurs.

Coquillages et coquilles d’huîtres sont envoyés au facteur par son neveu qui vit à Marseille.

La chaux et le ciment sont les seuls matériaux achetés par le facteur Cheval.

C’est par la façade Est que le Facteur Cheval démarre la construction de son Palais.
Il commence par élever deux cascades, La Source de Vie sur laquelle veille un lion et un chien et la Source de la Sagesse. Puis il édifie la grotte de Saint Amédée, Socrate, le temple égyptien et le tombeau où il aurait voulu être enterré. Afin d’équilibrer sa façade, il bâtit à l’autre extrémité le temple hindou, où s’entremêlent d’étranges animaux et une niche pour sa fidèle brouette. Viennent ensuite les 3 géants, César, Archimède, Vercingétorix. Au sommet, il réalise sa Tour de Barbarie, luxuriante et exotique. Il consacre 20 ans (1879-1899) à cette façade totalement baroque et foisonnante.

Une façade dont il est fier puisqu’il construit en face, un belvédère afin que le visiteur puisse l’admirer pleinement..

Il poursuit par La façade Sud constituéen principalement d’un musée anti-déluvien, où il dépose les pierres qui lui tiennent à cœur. On y aperçoit un arbre minéral remarquable, habité de drôles d’oiseaux et de petits animaux.

La façade Ouest. Afin de poursuivre son œuvre, il va acquérir le terrain voisin trois fois son prix. Côté Ouest, il devient architecte, structure, organise, et fait cohabiter les styles de toutes les cultures, de toutes les religions, avec une mosquée arabe, un temple hindou, un chalet suisse, une maison blanche d’Alger, puis un château du moyen-âge… Sur les colonnes, il inscrit son nom.

 

Un message universel est ponctué par une citation dans la galerie « Les fées de l’Orient viennent fraterniser avec l’Occident »

La façade Nord. C’est sans doute par l) que le Facteur Cheval achève son monument. Ici, il est au sommet de son art. Ses modelages sont d’une grande richesse, et la façade foisonnante. Serpents, biche, caïman, pélican, grenouille, Phénix, minotaure et autres figures étranges, répétitives. L’imaginaire est nourri de la Génèse, Adam et Eve, l’enfer et le paradis, la vie et la mort. « D’un songe j’ai sorti la reine du Monde ».

 

Repoussant la mort, il lance un défi au monde « 1897-1912, 10 000 journées, 93 000 heures, 33 ans d’épreuves, plus opiniâtre que moi se mette à l’œuvre ». Il grave sur son monument « Travail d’un seul homme ».

La Galerie est peuplée d’un extraordinaire bestiaire. Le lapin ou le coq gaulois côtoient un bestiaire plus exotique : ours, éléphant, dromadaire… Une multitude d’oiseaux et coquillages ornent les murs. Durant les premières années l’eau courait le oong du petit canal d’arrosage qui traverse la galerie du Palais dans toute sa longueur. Pour des raisons de conservation, l’alimentation en eau a été interrompue.

La Terrasse

C’est là que le Facteur place sa pierre d’achoppement. Elle trône sur un piédestal.

 

« Puisque la matière fait dela suclpture jje me fera maçon et architecte »

Le tombeau

Après l’achèvement de son Palais en 1912 à l’âge de 76 ans, le Facteur Cheval fait l’acquisition d’une concession au cimetière d’Hauterives. Il va consacrer 8 ans de sa vie à construire son tombeau sur lequel il inscrit « le tombeau du silence et du repos sans fin », sa volonté d’être inhumé dans son Palais lui ayant été refusée du fait de la loi de 1843.

« Après 33 ans de travail opiniâtre je me suis trouvé assez courageux pour aller faire mon tombeau au cimetière. Là encore, j’ai travaillé 8 années d’un dur labeur »